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19/09/2014 | FRANCE | N°2014-417

France | France, Conseil constitutionnel, 19 septembre 2014, 2014-417


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 juillet 2014 par le Conseil d'État (décisions nos 377207 et 379955 du 2 juillet 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par les sociétés Red Bull On Premise et Red Bull Off Premise, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 1613 bis A du code général des impôts.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi org

anique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code général des impôts ;

Vu la loi...

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 juillet 2014 par le Conseil d'État (décisions nos 377207 et 379955 du 2 juillet 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par les sociétés Red Bull On Premise et Red Bull Off Premise, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 1613 bis A du code général des impôts.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code général des impôts ;

Vu la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-659 DC du 13 décembre 2012 ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour les sociétés requérantes par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 25 juillet et 11 août 2014 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 25 juillet et 11 août 2014 ;

Vu la lettre du 4 août 2014 par laquelle le Conseil constitutionnel a invité les parties à produire des observations sur les volumes consommés en France de boissons contenant un seuil minimal de 220 milligrammes de caféine pour 1 000 millilitres, en distinguant selon que ces boissons sont « dites énergisantes » ou non ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me François Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour les sociétés requérantes, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 11 septembre 2014 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 1613 bis A du code général des impôts : « I. - Il est institué une contribution perçue sur les boissons dites énergisantes contenant un seuil minimal de 220 milligrammes de caféine pour 1 000 millilitres, destinées à la consommation humaine :

« 1° Relevant des codes NC 2009 et NC 2202 du tarif des douanes ;

« 2° Conditionnées dans des récipients destinés à la vente au détail, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un professionnel.

« II. - Le taux de la contribution est fixé à 100 EUR par hectolitre.

« Ce tarif est relevé au 1er janvier de chaque année à compter du 1er janvier 2014, dans une proportion égale au taux de croissance de l'indice des prix à la consommation hors tabac de l'avant-dernière année. Il est exprimé avec deux chiffres significatifs après la virgule, le deuxième chiffre étant augmenté d'une unité si le chiffre suivant est égal ou supérieur à cinq. Il est constaté par arrêté du ministre chargé du budget, publié au Journal officiel.

« III. - 1. La contribution est due à raison des boissons mentionnées au I par leurs fabricants établis en France, leurs importateurs et les personnes qui réalisent en France des acquisitions intracommunautaires, sur toutes les quantités livrées à titre onéreux ou gratuit.

« 2. Sont également redevables de la contribution les personnes qui, dans le cadre de leur activité commerciale, fournissent à titre onéreux ou gratuit à leurs clients des boissons consommables en l'état mentionnées au I dont elles ont préalablement assemblé les différents composants présentés dans des récipients non destinés à la vente au détail.

« IV. - Les expéditions vers un autre État membre de l'Union européenne ou un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ainsi que les exportations vers un pays tiers sont exonérées de la contribution lorsqu'elles sont réalisées directement par les personnes mentionnées au 1 du III.

« Les personnes qui acquièrent auprès d'un redevable de la contribution, qui reçoivent en provenance d'un autre État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, ou qui importent en provenance de pays tiers des boissons mentionnées au I qu'elles destinent à une livraison vers un autre État membre de l'Union européenne ou un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, ou à une exportation vers un pays tiers acquièrent, reçoivent ou importent ces boissons en franchise de la contribution.

« Pour bénéficier des dispositions du deuxième alinéa du présent IV, les intéressés doivent adresser au fournisseur, lorsqu'il est situé en France, et dans tous les cas au service des douanes dont ils dépendent, une attestation certifiant que les boissons sont destinées à faire l'objet d'une livraison ou d'une exportation mentionnée au même alinéa. Cette attestation comporte l'engagement d'acquitter la contribution au cas où la boisson ne recevrait pas la destination qui a motivé la franchise. Une copie de l'attestation est conservée à l'appui de la comptabilité des intéressés.

« V. - La contribution mentionnée au I est acquittée auprès de l'administration des douanes. Elle est recouvrée et contrôlée selon les règles, sanctions, garanties et privilèges applicables au droit spécifique mentionné à l'article 520 A. Le droit de reprise de l'administration s'exerce dans les mêmes délais.

« VI. - Le produit de la contribution mentionnée au I est affecté à la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés » ;

2. Considérant que, selon les sociétés requérantes, les dispositions contestées méconnaissent l'autorité de la chose jugée attachée à une décision du Conseil constitutionnel ainsi que le droit au recours consacré par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'elles méconnaîtraient également le principe d'égalité devant l'impôt et les charges publiques et porteraient atteinte à la liberté d'entreprendre ;

- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA VIOLATION DE L'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL :

3. Considérant que selon les sociétés requérantes, en adoptant les dispositions contestées, le législateur aurait méconnu la décision du Conseil constitutionnel du 13 décembre 2012 susvisée, et par là-même les principes de respect de l'autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel et de droit au recours ;

4. Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » ; que l'autorité des décisions visées par cette disposition s'attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même ;

5. Considérant que si l'autorité attachée à une décision du Conseil constitutionnel déclarant inconstitutionnelles des dispositions d'une loi ne peut en principe être utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi conçue en termes distincts, il n'en va pas ainsi lorsque les dispositions de cette loi, bien que rédigées sous une forme différente, ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution ;

6. Considérant que, dans sa décision du 13 décembre 2012 susvisée, le Conseil constitutionnel a examiné les dispositions de l'article 25 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 qui, à des fins de lutte contre la consommation alcoolique des jeunes, créaient une contribution sur les boissons contenant un seuil minimal de 220 milligrammes de caféine ou de 300 milligrammes de taurine pour 1 000 millilitres conditionnées pour la vente au détail et destinées à la consommation humaine, au taux de 50 euros par hectolitre et dont sont redevables les fabricants de ces boissons établis en France ou leurs importateurs ; qu'il a jugé qu'en taxant des boissons ne contenant pas d'alcool à des fins de lutte contre la consommation alcoolique des jeunes, le législateur avait établi une imposition qui n'était pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objectif poursuivi et que, par suite, le législateur avait méconnu les exigences de l'article 13 de la Déclaration de 1789 ; que le Conseil constitutionnel a donc déclaré les dispositions de l'article 25 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 contraires à la Constitution ;

7. Considérant que les dispositions contestées ont été introduites par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 ; qu'elles instaurent une contribution qui porte sur les boissons contenant un seuil minimal de 220 milligrammes de caféine pour 1 000 millilitres conditionnées pour la vente au détail et destinées à la consommation humaine ; que le taux de la contribution est de 100 euros par hectolitre ; que sont redevables de cette imposition les fabricants de ces boissons établis en France ou leurs importateurs ;

8. Considérant qu'il ressort des travaux parlementaires de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 qu'en créant cette imposition, le législateur a entendu prévenir les effets indésirables sur la santé de boissons ayant une teneur élevée en caféine ; que, si les dispositions contestées instituent une contribution dont l'assiette et le taux présentent des similitudes avec les dispositions déclarées contraires à la Constitution dans la décision du 13 décembre 2012, ces dispositions ont un objet différent de celui des dispositions censurées ; que, par suite, en adoptant les dispositions contestées, le législateur n'a pas méconnu l'autorité qui s'attache, en vertu de l'article 62 de la Constitution, à la décision du Conseil constitutionnel du 13 décembre 2012 ;

- SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA VIOLATION DES PRINCIPES D'ÉGALITÉ DEVANT L'IMPÔT ET LES CHARGES PUBLIQUES :

9. Considérant que, selon les sociétés requérantes, le seuil d'imposition prévu par les dispositions contestées n'est pas pertinent au regard de l'objectif poursuivi par le législateur ; que cette imposition ne s'appliquerait pas à toutes les boissons comportant de la caféine ; qu'il en résulterait une violation du principe d'égalité devant l'impôt ; que les dispositions contestées méconnaîtraient également l'égalité devant les charges publiques, en faisant peser sur les contribuables une charge excessive en raison du taux de l'imposition et de l'indexation annuelle de son barème sur l'indice des prix à la consommation ;

10. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; que cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;

11. Considérant, en premier lieu, que sont assujetties à la contribution créée par les dispositions contestées les boissons conditionnées dans des récipients destinés à la vente au détail et dont la teneur en caféine excède le seuil de 220 milligrammes pour 1 000 millilitres ; qu'ainsi, la différence instituée entre les boissons selon leur teneur en caféine est en rapport direct avec l'objectif de protection de la santé publique poursuivi ;

12. Considérant toutefois que sont exclues du champ d'application de cette imposition les boissons faisant l'objet d'une commercialisation dans les mêmes formes et ayant une teneur en caféine supérieure à 220 milligrammes pour 1 000 millilitres dès lors qu'elles ne sont pas des boissons « dites énergisantes » ; que la différence ainsi instituée entre les boissons destinées à la vente au détail et contenant une teneur en caféine identique selon qu'elles sont ou non qualifiées de boissons « dites énergisantes » entraîne une différence de traitement qui est sans rapport avec l'objet de l'imposition et, par suite, contraire au principe d'égalité devant l'impôt ;

13. Considérant, en second lieu, que le taux de la contribution est fixé à 100 euros par hectolitre ; que ce tarif est relevé au 1er janvier de chaque année à compter du 1er janvier 2014, en fonction de l'évolution de l'indice des prix à la consommation hors tabac de l'avant-dernière année ; que ce niveau d'imposition ne revêt pas un caractère confiscatoire ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'au premier alinéa du paragraphe I de l'article 1613 bis A, les mots « dites énergisantes » doivent être déclarés contraires à la Constitution ; que, pour le surplus, les dispositions de cet article ne sont pas contraires aux principes d'égalité devant l'impôt et les charges publiques ; que ces dispositions, qui ne méconnaissent ni la liberté d'entreprendre ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;

- SUR LES EFFETS DE LA DÉCLARATION D'INCONSTITUTIONNALITÉ :

15. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;

16. Considérant que l'entrée en vigueur immédiate de l'abrogation des dispositions déclarées contraires à la Constitution aurait pour effet d'élargir l'assiette d'une imposition ; qu'afin de permettre au législateur de tirer les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité des mots « dites énergisantes » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l'article 1613 bis A du code général des impôts, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2015 la date de l'abrogation de ces mots,

D É C I D E :

Article 1er.- Les mots « dites énergisantes » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l'article 1613 bis A du code général des impôts sont contraires à la Constitution.

Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet au 1er janvier 2015 dans les conditions fixées au considérant 16.

Article 3.- L'article 1613 bis A du code général des impôts est, pour le surplus, conforme à la Constitution.

Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 septembre 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.

Rendu public le 19 septembre 2014.


Synthèse
Numéro de décision : 2014-417
Date de la décision : 19/09/2014
Société Red Bull On Premise et autre [Contribution prévue par l'article 1613 bis A du code général des impôts]
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle - effet différé
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 19 septembre 2014 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 19 septembre 2014 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2014-417 QPC du 19 septembre 2014
Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2014:2014.417.QPC
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